Le ton apocalyptique, montage vidéo réalisé par Paul Morin à partir d’extraits des œuvres suivantes : Je suis une légende, film coréalisé par Ubaldo Ragona et Sidney Salkow (mais signé uniquement par ce dernier), sorti en 1964 ; Plus rien, chanson écrite et interprétée par Barbara dans l’album Le Soleil noir sorti en 1968.

II. Pas de panique, c’est bientôt fini

138Dans cette deuxième partie, le problème de la fin du monde dépasse le champ de la technique pour entrer de plein pied dans celui du langage. Nous avons déjà commencé à voir que ce thème pose rapidement des problèmes d’énonciation. Peut-être est-ce dû au fait que la fin du monde n’existe que dans l’avenir. Celle-ci ne sera toujours qu’une fiction puisque si elle se réalisait, elle ne serait plus un événement pour personne. Ce n’est jamais qu’une éventualité ; mais c’est toujours une éventualité. Il semble impossible de se débarrasser de ce récit qui n’est, par définition, qu’une fiction. La fin du monde est toujours virtuellement possible, mais comment faire pour que son actualisation reste toujours improbable ?

139Il nous est peut-être permis de façonner l’avenir par l’activité du projet. Le projet, c’est exprimer ce que nous voulons faire avant de le faire. Communiquer par des mots ou des images, ce qui résultera de nos actions ainsi enchaînées dans le temps. Dans ces conditions, la fin du monde s’observe bien comme un projet à éviter par tous les moyens. Il faut faire en sorte que nos projets ne nous conduisent pas à la fin du monde. Mais comment exprimer la direction de la fin du monde ? Comment désigner tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, pourrait concourir à l’avènement de la fin du monde ? Comment le dire, ou le montrer, afin de l’éviter ? Comment formuler cette exigence extrêmement générale selon laquelle aucune de nos activités ne doit esquisser un début de chemin vers l’anéantissement collectif ? Comment dire que rien ne doit laisser entendre un destin funeste ? Il s’agit en quelque sorte d’envoyer des messages annonciateurs de la fin, afin d’empêcher les éventuels destinataires d’aller dans les directions d’où proviennent ces envois.

140La difficulté n’est pas dans le simple fait de le dire. Rien de plus facile que d’annoncer la fin du monde pour demain matin. Ce qui est difficile c’est de rendre le propos suffisamment intéressant et convaincant pour qu’il fasse son travail, à savoir qu’il nous évite le pire. Pour donner du crédit à ce message des plus singuliers, pour qu’il soit crédible, on peut adopter un certain ton. Nous avons vu que ce ton était parfois exalté et qu’il inspirait la peur. Il semble aussi poser des problèmes d’interprétation quant à la situation d’énonciation. D’où vient-il ? À qui s’adresse-t-il ? Pour comprendre plus en profondeur les caractéristiques et les enjeux du discours apocalyptique, tentons une lecture du texte D’un ton apocalyptique adopté naguère en philosophie de Jacques Derrida. Nous étudierons ensuite deux cas dans lesquels le ton apocalyptique se laisse entendre : la réception de la pièce radiophonique La guerre des mondes mise en scène par Orson Welles en 1939 et le film Interstellar sorti en 2015 et réalisé par Christopher Nolan.